« Do or die » (littéralement « Fais-le ou meurs », correspondant à notre « Marche ou crève ») : tel est le crédo des quelque mille cinq cents pirates somaliens navigant actuellement dans les eaux très fréquentées du golfe d’Aden et de l’océan Indien, et qui ne cessent de défrayer la chronique.
Victimes de deux fléaux que l’État n’est pas en mesure d’éradiquer – celui de la pêche illégale des bateaux étrangers très compétitifs et du déversement de produits toxiques dans les eaux somaliennes – certains pécheurs locaux ont décidé d’intervenir jusqu’à faire acte de piraterie. Cette dernière est devenue un véritable système économique, soutenu par une partie de la diaspora, et mobilise des réseaux, incluant désormais les seigneurs de guerre, dont l’étendue rivalise avec la grande criminalité organisée. Mettant en action des pirates de plus en plus nombreux et armés, les assauts, qui n’ont cessé d’augmenter depuis 2007, ont atteint une importance et une violence inédites durant l’année 2011. Les otages, que les pirates n’hésitent pas à torturer, voire à utiliser comme bouclier durant leur captivité, font l’objet de demandes de rançon pouvant atteindre 13,5 millions de dollars : de quoi rémunérer l’organisation très hiérarchisée des gangs, allant des investisseurs aux chefs des villages côtiers, devenus pour la plupart dépendants de la piraterie. Un risque d’alliance sur le long terme avec les chebab islamistes installés à l’extrême sud du pays laisse entrevoir la possibilité d’une contagion des actions de ces réseaux vers la terre ferme.
Face à la complexité juridique que constitue le jugement des pirates, la communauté internationale a opté pour l’usage de la force. C’est notamment le cas de l’ex-président Nicolas Sarkozy dont le gouvernement a rendu obligatoire, au sein de toutes les embarcations vulnérables navigant dans l’océan Indien, des équipes de protection embarquées de la marine nationale – refusant pour le moment tout recours à des sociétés privées. Il s’agit cependant d’une solution d’urgence ne traitant pas le fond du problème. Sachant la difficulté d’une intervention terrestre et le caractère intraçable des flux d’argents créés, seul le retour d’un État somalien fort et stable comme entité de dialogue permettrait une lutte anti-piraterie efficace.
Le livre de Jean Guisnel et Viviane Mahler fournit une analyse complète et très documentée des causes, de l’organisation, des évolutions et des possibles solutions à apporter au problème de la piraterie somalienne. Une enquête qui s’avère d’autant plus précieuse que ce dossier brûlant constituera assurément, dans les décennies à venir, l’un des premiers enjeux du commerce international, qui s’avère très dépendant du transport maritime.
Margaux Bonnet, chronique parue dans le n. 109 des Cahiers de l’Orient, hiver 2013.
Jean Guisnel et Viviane Mahler, Grasset, 2012, 316 p., 20,50 €.