109 Révolutions arabes, suite sans fin…

CO 109

n°109 (printemps 2013)

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Merci, Monsieur Morsi ! l’éditorial d’Antoine Sfeir, directeur de la rédaction

© Paul Avoine / Cahiers de l’Orient 2013
© Paul Avoine / Cahiers de l’Orient 2013

Le président égyptien  a réussi à faire passer la nouvelle Constitution, après un référendum qui a réuni moins de la moitié des électeurs égyptiens et qui a récolté 64% des suffrages exprimés. Tel sont les faits. Néanmoins, le chef de l’État égyptien ne sera jamais pharaon : il a divisé le pays en deux, mais il a surtout réussi à unifier une opposition éparse autour d’un slogan ; opposition qui, à défaut d’être laïque, était marquée par la volonté de séculariser la Constitution. Il a également fait connaître à l’intérieur Mohammed el Baradeï, prix Nobel de la paix et ancien directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et surtout redonné espoir à ceux qui avaient déclenché la révolution en Égypte, ces jeunes de moins de trente ans qui se sont réapproprié la rue en entamant l’acte II de la révolution.

Les initiatives doivent se dérouler au premier trimestre 2013. Les Frères musulmans espèrent confirmer les faits, tout en sachant pertinemment que leur notoriété est nettement en baisse ; l’opposition, quant à elle, voudrait reconquérir le Parlement, mais il faudrait pour cela maintenir l’union sacrée qui s’est imposée dans la contestation et, sans doute, faire taire les ego. Amr Moussa, l’ancien secrétaire général de la Ligue des États arabes, et Mohammed el Baradeï accepteront de se ranger derrière Hamdin Sabahi, qui est arrivé en troisième position aux élections présidentielles. Avec 23% des suffrages, ce parfait inconnu a réussi à faire revivre l’idée d’un nassérisme qu’on croyait définitivement morte et enterrée. Ce sont ses partisans qui constituaient le groupe le plus important des manifestants. Et c’est sans doute l’aspect le plus remarquable de cette révolution égyptienne, avec la montée du nassérisme, non plus comme une idéologie imposée par le régime mais plutôt comme une aspiration d’un peuple à davantage de dignité. Ayant l’impression de recouvrer son pouvoir de décision et non plus d’être le satellite d’une grande puissance, le peuple égyptien émet également le désir de voir le retour du pays sur la scène arabe et internationale, sans oublier, sur le plan social, une volonté de voir les richesses du pays plus équitablement redistribuées… Il est évident que la gestion de l’économie égyptienne par les Frères musulmans n’a pas apporté les solutions que la situation exigeait : les atermoiements du président sous la pression de l’homme fort de la Confrérie, Khairat al Shatter, a laissé pantois un peuple qui a eu l’impression d’être à la dérive. Le tourisme, mamelle essentielle d’apport de devises, a du mal à repartir [1], l’argent des expatriés n’arrive plus dans le pays puisque l’Égypte n’exporte plus de professeurs dans les pays arabes, et notamment au Maghreb. Le pétrole et les sites de stockage ont également subi le contrecoup des événements de ces deux dernières années. Seuls les revenus du canal de Suez sont restés stables.

Il en est de même sur le plan économique en Tunisie mais avec une différence essentielle concernant la gestion d’une politique : le Premier ministre Hamadi Jebali et son mentor, le dirigeant d’Ennahda Rached Ghannouchi, semblent mieux rôdés à la tactique politicienne, n’hésitant pas à reculer face au chef de l’État Moncef Marzouki et à la détermination des femmes qui, elles non plus, n’ont pas hésité à se réapproprier la rue. Néanmoins, la montée du salafisme et de certains jihadistes en Tunisie n’est pas sans inquiéter les islamistes d’Ennahda, qui ne peuvent se permettre d’être débordés par des mouvements rivaux utilisant la force au détriment même de l’État.

Que ce soit en Égypte ou en Tunisie, l’Occident observe prudemment mais joue de ses ressources financières pour infléchir l’évolution des événements : que ce soit le Fonds monétaire international, via le prêt de 4,8 milliards de dollars promis à l’Égypte puis suspendu, ou l’Union européenne vis-à-vis de la Tunisie, les pays occidentaux pensent pouvoir maîtriser une situation mouvante, aléatoire et en perpétuelle évolution. D’autant que les grandes puissances voudraient bien retrouver leur force d’ingérence dans cette région du monde, comme en témoignent les discussions entre Moscou et Washington concernant la Syrie. Comment sortir Bachar al Assad du pouvoir tout en sauvant la face de la communauté alaouite et du président lui-même ? Le marchandage américano-russe, consistant à lui proposer une retraite anticipée contre l’engagement de ne pas démanteler – à l’instar de ce qui s’est passé en Irak–  ni l’armée ni les caciques du parti Baas, suffira-t-il à convaincre les dirigeants syriens ? Quel sort réserver à une opposition syrienne exilée, financée par le Qatar et abritée par la Turquie, alors que les insurgés de l’intérieur refusent de se sentir engagés par les décisions de cette opposition ?

Que ce soit le Qatar ou l’Arabie séoudite, partisans des insurgés, ils sont pressés de voir aboutir le processus qui redonnerait à la communauté sunnite le pouvoir en Syrie. En effet, risquant de le perdre au Liban en raison de la puissance du Hezbollah chiite, allié à l’Iran, et ne pouvant accepter dans ce Proche-Orient l’absence d’un pouvoir sunnite, ils espèrent voir s’installer à Damas cette communauté qui a en été écartée il y a plus de quarante ans. Certes, l’opposition entre sunnites et chiites, entre l’Arabie et l’Iran, et le jeu ambigu du Qatar ne sont que des prismes de lecture parmi d’autres. Un autre élément, exogène celui-là, explique sans doute l’urgence du changement pour les Qataris et les Séoudiens : ce sont les velléités des États-Unis d’acquérir leur indépendance énergétique grâce au pétrole de l’Alaska et à l’exploitation des gaz de schiste d’ici à 2016. Cela représenterait une baisse notable du poids stratégique de ces deux pétromonarchies. Dans ce cas, une configuration nouvelle du Moyen-Orient aurait cette fois-ci des conséquences directes sur l’Arabie, en érigeant un État islamique sacré autour de Médine et de la Mecque et en donnant toute la partie orientale, où se trouve concentré le pétrole, à un État ou une entité arabe chiite en Irak, ce qui reviendrait à enlever au royaume séoudien toute influence dans la région ; quant au Qatar, malgré sa richesse financière et ses investissements tous azimuts en Occident, il ne pèserait plus lourd sur la scène stratégique et géopolitique et ne représenterait plus que le poids dévolu à moins de 200.000 citoyens dans la zone.

Devant une telle éventualité, et sachant qu’aucun pays ne lèverait le petit doigt pour défendre le Qatar ou l’Arabie d’une menace quelconque, la Perse redeviendrait, à l’instar de la Turquie, un pion central sur l’échiquier occidental.

Les révolutions arabes ne sont pas terminées. Les convoitises occidentales ne sont pas assouvies. Les années qui viennent peuvent encore réserver de nombreuses surprises. Car toute machine, aussi bien huilée qu’elle puisse être, est à la merci d’un tout petit grain de sable !

A. J. S.
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Au sommaire :

Également dans ce numéro :

  • L’islam englobant : Réalité et mort d’un mythe, Abdennour Bidar
  • Lu et vu pour vous : Figures du féminin en Islam, de Houria Abdelouahed ~ Le Roman de la Syrie, de Didier Destremau et Christian Sambin ~ Pirates de Somalie, de Jean Guisnel et Viviane Mahler ~ Une enfance juive en Méditerranée musulmane, présenté par Leïla Sebbar * Margaux BonnetMaureen Desfontaines.

[1] Voir à ce sujet les articles de Gilles Sengès et Catherine Parenti dans le nº 108 des Cahiers de l’Orient : L’Égypte entame sa longue marche (hiver 2012).

Voir aussi notre numéro 107 : Les soulèvements arabes, entre espoirs et désenchantements

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3 réflexions au sujet de « 109 Révolutions arabes, suite sans fin… »

  1. Bonjour,

    Pourrais-je connaître les numéros précédents sur le Printemps arabe ?

    Merci.

    Meilleures salutations. Amina Hassan Khalil Doctorante en communication – Montréal

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