L’Université Paris-Sorbonne d’Abu Dhabi, inaugurée en 2006, s’est choisi pour devise « un pont entre les civilisations » : force est de constater que cet ouvrage, fruit d’un colloque international et interdisciplinaire sur la rencontre des civilisations autour du monde musulman (VII-XIVe siècles) tenu en mars 2011, s’inscrit pleinement dans cette perspective.
Revenant sur la position centrale occupée par la péninsule arabique aux débuts de l’islam, entre l’Europe et les mondes indien et chinois, les contributeurs se penchent sur les interactions entre monde byzantin et Orient musulman, les affrontements militaires dans les steppes d’Asie centrale, ou encore les échanges culturels avec l’Inde et économiques avec les marchands italiens. Si certains sujets sont relativement connus, comme la victoire remportée par Charles Martel sur les Arabes à Poitiers, passée au rang d’image d’Épinal, ou l’importance de l’apport arabe dans la réception et la diffusion des sciences en Europe, d’autres le sont infiniment moins. On apprend ainsi que les élites japonaises étaient au contact de marchandises importées du Proche-Orient (bois, coupes en verre ou en bronze, tissus à motifs sassanides, instruments de musique), ou que certains manuscrits d’Europe médiévale reconstituent à travers les aventures de personnages largement imaginaires un Orient de légende, projection d’un idéal chevaleresque français alors en formation.
Longtemps on a mis en avant l’Espagne musulmane, Al–Andalus, symbole réel mais quelque peu galvaudé de concorde entre les trois religions monothéistes. L’historiographie s’est également occupée des Croisades et du monde byzantin. Mais pour plusieurs études sur ces sujets, dont celle de Pierre Guichard sur l’Espagne musulmane, très peu de travaux étaient consacrés aux relations entre l’aire arabo-musulmane médiévale et le reste du monde.
Ce beau livre allie enfin des contenus universitaires et une présentation agréable, richement illustrée, qui le rend accessible au plus grand nombre. Bien que les auteurs précisent, à juste titre, qu’ils n’ont pas vocation à donner des leçons politiques, on ne peut qu’espérer que leur démarche comme leurs travaux permettent, en jetant une belle lumière sur ce passé trop méconnu, de réfléchir plus sereinement au présent et à l’avenir, aux questions du vivre et du faire-ensemble qui se posent à nos sociétés depuis plus longtemps qu’elles ne veulent le reconnaître.
Introduction au colloque
- Michel Sot, Islam médiéval, Abou Dhabi aujourd’hui : carrefour des civilisations
- Pierre Toubert, Ce que l’Occident médiéval doit à l’Islam
I- Conquête musulmane, chocs et premiers échanges (VIIe-Xe siècles)
- Michel Sot, Charlemagne et Hârûn al-Rashîd : premières rencontres entre monde musulman et Occident chrétien (VIIe-IXe siècles)
- Tahar Mansouri, Premiers échanges entre Byzance et l’Orient musulman
- Flora Blanchon, Le choc des élites guerrières arabes, chinoises et turques en Asie centrale au milieu du VIIIe siècle
- Sho-Ichi Sato, Sinbad au Japon ? Les échanges maritimes entre le Proche-Orient et l’Extrême-Orient d’après le trésor du Shoso-in
- Edith Parlier-Renault, Al-Bîrûnî et l’Inde : le dialogue des cultures
II- Affrontements à l’Ouest et croisade (Xe-XIIe siècles)
- Jean-Claude Cheynet, L’Empire byzantin et les grandes puissances musulmanes (Xe-XIIe siècles)
- Anne-Marie Eddé, L’honneur des chevaliers francs dans les sources arabes à l’époque des croisades
- Dominique Barthélemy, De Brocéliande à Bagdad ? Un récit d’aventure orientale (1119-1124)
III- Les dettes de l’Occident (XIIe-XIIIe siècles)
- Yves Sassier, Connaissance et critique de l’Islam chez les intellectuels du XIIe siècle
- Jacques Verger, Les sciences arabes en Occident au Moyen-Age
- Elisabeth Crouzet-Pavan, Aventures italiennes en Orient
Conclusion : Dominique Barthélemy, Rencontres de civilisations
Michel Sot, Dominique Barthélemy (dir.), Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2012, 23 euros.
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