« Politiques » à la galerie Talmart

politiques-expoExtraits de notre entretien avec Marc Monsallier (29 avril 2013)

Marc Monsallier est le directeur de la galerie Talmart. Ouverte en 2007, elle expose souvent des artistes du monde arabe et a accueilli du 20 mars au 3 mai 2013 un collectif d’art contemporain (une version enrichie est exposée jusqu’au 31 mai 2013 au Centre national d’Art vivant de Tunis).

Les Cahiers de l’Orient : Quel est le sens de ce pluriel, « Politiques » ?

Marc Monsallier : […] On peut dire que c’est le pluriel parce qu’aujourd’hui on a une approche toujours plurielle des choses. Aujourd’hui on ne dit plus l’Homme mais « les hommes », on ne peut pas dire le monde arabe mais les mondes arabes, l’islam mais les islams… Il s’agit de prendre en compte la complexité du monde. Et aussi parce que le pluriel renvoie plus au masculin qu’au féminin : il s’agit plus du politique que de la politique. […]

C. O. : Le titre peut donc présenter des problèmes d’interprétation ?

After washing, de Shadi Al Zaqzouq
After washing, de Shadi Al Zaqzouq

M. M. : Cette confusion n’est pas très grave, sauf si on regarde en profondeur. Comme il y a deux sens, elle double l’auditoire. Certains vont voir dans le sous-vêtement sur lequel est écrit « dégage » (After washing, de Shadi Al Zaqzouq) de la politique, une provocation politique, voire un peu politicienne. Il y a des gens qui ont besoin d’un premier degré de lecture, et ceux-là seront satisfaits. […]. Qu’il y ait un premier degré plus superficiel n’est pas grave, pourvu qu’on puisse approfondir et dire autre chose derrière, et c’est le cas de quasiment toutes les œuvres ici. En plus, le titre sonne tout de suite à l’oreille. Les mots « politique », « Tunisie », « jeunes artistes contemporains », « collectif »,  sont tout à fait attirants et utiles pour la diffusion de l’œuvre. Une bonne expo non seulement montre de bonnes œuvres, elle a aussi autour d’elle de bons outils de communication. Je pense que le titre « Politiques » en est un. Parce qu’il se trouve aussi qu’il n’est pas creux. C’est un outil qui fonctionne  à un premier degré et continue de fonctionner en profondeur.

C. O. : Quelles ont été les réactions du public vis-à-vis des œuvres ?

M. M. : Elles sont toutes positives. Même les réactions négatives restent positives de notre point de vue. L’autre jour, des visiteurs sont entrés – des musulmans plutôt traditionalistes – et ont apparemment été dérangés de voir un mot arabe écrit sur un sous-vêtement : nous n’avons pas pu connaître la raison de leur réaction, mais pour nous, c’est plutôt positif car c’est déjà une réaction. Par ailleurs, certaines personnes ont critiqué le terme de « Politiques ». Toutes les réactions négatives étaient construites.

C. O. : Certaines œuvres ont-elles particulièrement interpellé le public ?

Convertissez-vous, de Shadi Al Zaqzouq
Reality, céramiques de Ymène Chetouane

M. M. : Les trois céramiques avec la crête (Remember me, de Ymène Chetouane) et bien sûr le punk musulman (Convertissez-vous, de Shadi Al Zaqzouq). Le mouton aussi (Vs Sheep, de Malek Gnaoui), que j’ai souvent dû expliquer. J’ai eu besoin de temps, moi aussi, pour l’aimer. Mais j’étais assez heureux de présenter cette œuvre-là, dont je suis aujourd’hui totalement convaincu.

C. O. : ID GASde Maher Gnaoui, était-elle plus accessible ?

M. M. : Non, et pas en raison de l’interrogation qu’elle suscitait : il fallait montrer aux gens que ce n’était pas une blague. C’est peut-être celle-ci qui a été le moins prise au sérieux.

C. O. : Mais elle ne cherche pas forcément à l’être : elle a également une dimension humoristique.

M. M. : C’est vrai, mais je n’ai pas vraiment insisté sur cet aspect. Pour être honnête, j’aime le reste, mais je crois que je n’aime pas beaucoup son côté humoristique. Quel est-il ? C’est la bombe. Et ça me dérange. Aujourd’hui j’entendais Prejlocaj [… ] présenter les Mille et une nuits, qu’il appelle Les Nuits. Et que montre-t-il ? De belles femmes, et des hommes représentés en salafistes. Je trouve cela affligeant de parler toujours de la même chose. Les salafistes existent, mais c’est comme si on limitait la France à ses extrémistes et qu’on n’en parlait que sous cet angle-là. Je trouve cela fatigant. Voilà pourquoi je n’aime pas cette vision de la bouteille de gaz, même si « he doesn’t give a s… » […]

Id Gaz, de Maher Gnaoui Mixed media on gas bottles 60 x 32 cm each
ID GAS, de Maher Gnaoui
Mixed media on gas bottles, 60 x 32 cm each.

C. O. : Exposer « Politiques » à Paris n’a pas le même sens qu’en Tunisie. Pourquoi ce choix ?

M. M. : […] La première raison, c’est que les œuvres sont de qualité. La deuxième, c’est qu’il s’agit d’un collectif comme il est rare d’en découvrir, qui fonctionne avec une énergie propre, une volonté d’engagement et un engagement plastique, avec quand même un fond politique. Enfin, parce que je travaille à Paris avec le monde arabe depuis de longues années, et j’ai vraiment le sentiment d’avoir découvert de futurs grands artistes. Qui plus est, un groupe d’artistes, ce qui est très intéressant pour moi. Il ne m’a pas été difficile de convaincre le public de leur qualité. […] Le collectif correspond à mon champ d’exploration géographique mais, au niveau des œuvres, il correspond à un champ beaucoup plus large.[…]

C. O. : Quelques modifications ont été apportées entre la première et la deuxième session de l’exposition. La sélection des œuvres a évolué, avec notamment l’arrivée d’artistes non tunisiens (le Français Matthieu Boucherit, le Palestinien Shadi Al Zaqzuq et le Sénégalais Iba Wane).

M. M. : C’est un collectif qui n’est pas fermé. Son noyau dur, c’est un groupe d’artistes tunisiens qui ont une sensibilité assez proche, sans avoir les mêmes moyens d’expression. Mais sortir de la Tunisie, ça signifie aussi sortir de la problématique purement tunisienne. Très vite, ils ont décidé d’intégrer d’autres artistes sans censure particulière, uniquement par affinité. Ils ont été impressionnés par le travail des artistes qu’ils ont invités, et cela partait d’abord d’un intérêt plastique. […] Ils ont voulu élargir à la fois leur problématique et leur champ géographique ; ils attendent aussi que leur aventure soit l’occasion de fédérer, d’aller plus loin. […]

Vernissage de l'exposition Politiques, 21 mars 2013
Vernissage de l’exposition Politiques 2, 21 mars 2013.

M. M. : Il y a deux choses qui marquent les œuvres, […] : les circonstances, le temps révolutionnaire, et la propre recherche du plasticien et de l’artiste, qui est aussi liée aux nouvelles conditions de vie. C’est-à-dire que grâce à la liberté d’expression que les artistes ont acquise, au gain en liberté de mouvement – même si tous ne peuvent se déplacer facilement car ils n’obtiennent pas de visa – malgré tout il y a a un échange plus intéressant avec l’étranger, et leur recherche en bénéficie. On peut notamment le dire pour Malek Gnaoui, qui se radicalise dans une recherche plus rigoureuse et a vraiment décidé d’approfondir son sujet sans redouter de moins plaire ou d’être moins accessible. […] ismaël, quant à lui, mêle plusieurs dimensions de recherche sur le terrain, de citations cinématographiques, de lectures théoriques et poétiques, sans craindre la provocation. Il cherche, il filme ce qui se passe, il va dans les camps de réfugiés…

C. O. : Les artistes se sont-ils engagés politiquement ? Ont-ils milité, participé aux manifestations en Tunisie ?

M. M. : Oui, bien sûr. Tout le temps !

C. O. : La plupart des artistes du collectif exposaient déjà avant le « Printemps arabe ». En quoi la révolution tunisienne a-t-elle modifié leur pratique artistique ? Vu de Paris, on a l’impression d’une vraie rupture, parce que l’art contemporain arabe était peu médiatisé avant ces événements. Est-ce une illusion ?

Mouton
Vs Sheep, de Malek Gnaoui

M. M. : C’est difficile à dire sans se tromper. J’ai le sentiment qu’il y a un approfondissement, que la liberté d’expression a vraiment libéré la création. Je me base sur le cas de Malek qui créait des œuvres spirituelles certainement moins engagées, intéressantes surtout dans la contemplation, si l’on peut dire. Aujourd’hui son travail signale le danger, il exprime la violence, avec le sacrifice du mouton analogue au sacrifice du citoyen. Il est donc évident pour moi que la révolution a changé des choses. On n’avait pas de collectif, dix artistes qui se réunissaient pour réaliser une œuvre de cette audace. […]

C. O. : Le collectif va-t-il proposer une nouvelle session à la galerie Talmart, ou plusieurs à un rythme régulier ?

M. M. : Une autre session est prévue au moins l’année prochaine. […]

Propos recueillis par Anastasia Rostan > voir le compte-rendu de l’exposition

L’intégralité de cet entretien bientôt sur notre site !

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